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5 octobre 2013 6 05 /10 /octobre /2013 20:24

Blottie dans un coin du wagon, le visage en sueur Léa se sentait oppressée, comme si une pierre lui pesait sur la poitrine, en l’enserrant à la façon d’un étau, l’empêchant de respirer. Son esprit  s’embrumait,  ses pensées s’obscurcissaient. Elle demeura inerte,  le visage cireux, sa tête s’appuyant contre la vitre du wagon, son corps s’abandonnant dangereusement au rythme du train. Les voix lui arrivaient comme un bourdonnement confus, un murmure de foule où il était impossible de rien distinguer.

Des passagers se rendirent compte de la situation et allongèrent Léa sur le sol en mettant toutes les précautions nécessaires. On lui tapota les joues tout en lui essuyant le front à l’aide d’un mouchoir rafraîchi.

Au bout d’un moment, elle fut réveillée par des bruits de ferrailles, de grondement des roues et le brouhaha environnant.              

Des larmes tremblaient au bord de ses paupières, elles se détachèrent une à une et coulèrent lentement sur ses joues.

Elle les essuya d’un revers du poignet.

Par la fenêtre, qu’on laissa entrouverte afin d’éviter la fournaise du compartiment, elle commença tout doucement à retrouver  ses esprits. Elle comprenait très bien ce que les gens disaient autour d’elle dans leur langue maternelle, mais, était incapable d’exprimer dans cette langue étrangère, autre chose qu’un charabia, un baragouin épouvantable.

Léa  ne se décidait pas à ouvrir les yeux ;  conservant avec obstination ses paupières closes depuis les premières minutes où elle avait repris connaissance. Une personne se pencha sur elle pour la contraindre à se réveiller ; la soulagea en la délaçant et en relâchant ses vêtements.

Léa huma prudemment l’air environnant et identifia des senteurs familières venues du dehors, celles des fruits, trop mûris par le soleil, et  l’odeur de menthe écrasée, qui montait des labours fumants. La première idée fut de chercher un peu de réconfort. Où  suis-je ? Elle ne s’en rendait pas bien compte. La locomotive  continuait  son chemin brinquebalant dans la campagne, pour s’arrêter en gare d’El Malah.

Prenant son courage à deux mains, elle récupéra son  mince bagage, et descendit péniblement du train, le visage crispé, les yeux hagards.  Des portières s’ouvraient se refermaient bruyamment. Sur le quai apparaissaient des visages tranquilles ou tourmentés, heureux ou navrés, tous ces passagers s’engouffraient par la même porte de sortie. Emue,  elle fit quelques pas sur le quai en écartant la foule de voyageurs qui couraient éperdument le long des wagons.                 Elle fut aussitôt entraînée, pressée, poussée, serrée, ballottée dans le courant de la foule.

Au milieu du tumulte, le chef de gare libéra d’un coup de sifflet strident le convoi. Léa  regarda s’éloigner le long chapelet de wagons, tout en suivant le flot de passagers  accablé de chaleur et  se faufila entre les gens agglutinés sur son passage.

Alors que des familles s’accolaient et s’embrassaient dans des effusions, il n’y avait personne pour accueillir cette inconnue, seule, désorientée,  qui tentait de maîtriser son désarroi, et dont l’effroi augmentait au fur et à mesure qu’elle approchait du centre de « son » village. 

Son trajet fut fait d’un pas accablé. Dévorée d’un désir d’eau fraîche, elle regardait  autour d’elle, espérant trouver une fontaine.  La face emperlée de sueur, elle s’adossa contre un arbre,  en quête d’ombre et de fraîcheur en attendant de retrouver quelques forces. 

Arrivée sur la place du village, des adolescents et de jeunes enfants  circulaient sans surveillance.

Elle fit une halte  devant l’église qui dressait fièrement, l’élégante silhouette  de son clocher, au-dessus de la palmeraie.

Des villageois désœuvrés colonisaient les cafés  maures, d’autres étaient paresseusement étendus sur la place. El Malah semblait engourdi dans la voluptueuse indolence arabe.                  

Le jour s’éteignait déjà, l’acuité visuelle s’affaiblissait, elle en prenait conscience.  Elle s’arrêta un moment,  repéra le seul  banc encore libre, Proche  d’un  jet d’eau, se fraya un chemin pour aller s’y asseoir.

 Au village mille bruits vivants montaient des ruelles : une mule qu’on ferre, des enfants qui piaillent comme des martinets. Léa malgré sa fatigue goûtait  la précieuse saveur et la douce paix de ce passé resté vivant. Vaincue par la fatigue du voyage, elle s’affala, alors que  les lampadaires s’allumaient, parmi les verts éventails des palmiers.

Léa avait espoir de trouver  un hôtel rapidement, et  réalisa qu’elle n’avait pas la moindre idée de l’endroit où elle passerait la nuit.  L’horloge de la mairie marquait dix huit heures lorsqu’elle s’arrêta sur la place. Une bande de jeunes se promenait le long du boulevard.  Au bout d’un moment, une  villageoise vint à sa rencontre et lui proposa son aide en  lui indiquant  un chemin qui devait, après un  détour, l’amener jusqu’à une pension de famille. Léa la gratifia d’un chaleureux sourire, tout en la remerciant. Ayant suivi ses directives, toute chancelante, elle se retrouva au bout d’un moment devant une bâtisse ocre, aux fenêtres défendues par des grilles ventrues,  elle  avait pour enseigne : «  Hôtel le Rio.»   La nuit s’était abattue sur elle juste au moment où elle arrivait à destination, favorisant la discrétion de sa venue.  La porte entrebâillée, s’ouvrit largement devant Léa.

La première image que la voyageuse enregistra en pénétrant dans le hall où la conduisait l’hôtelière, fut la glace en face d’elle. Au début elle ne s’était pas reconnue et  s’était prise pour une autre. En se regardant avec soin elle vit ses mèches rebelles sur son visage,  ses yeux cerclés de cernes, la pâleur de ses traits révélait combien elle était encore fragile. De quoi ai-je l’air ! Se dit-elle.  Ce haut miroir la reflétait de la tête aux pieds, elle lui tourna le  dos car il lui renvoyait un visage qui n’était pas à son avantage.

Certains miroirs sont sévères et d’autres indulgents ; celui-ci avait comme la cruauté dans la manière de l’exposer à travers sa propre image.

Après avoir péniblement rempli une fiche de renseignements, assoiffée, elle bue d’un seul trait un grand verre d’eau et réclama une salle de bain, pour effacer la souillure qui lui collait à la peau. L’hôtelière la conduisit jusqu’à sa chambre et tint à lui montrer  un réduit carrelé de faïence turquoise en guise de salle de bain, puis le fonctionnement de la baignoire ; et disparut du côté des cuisines où l’on entendait des couverts et verres s’entrechoquer.

 

Léa se fit couler un bain. Tandis que la vapeur embuait un peu le miroir de la salle de bain, elle se déshabilla, laissa tomber ses vêtements sur le sol, se plongea dans la chaleur de l’eau et s’y prélassa longuement.  Quand elle en sortit sa fatigue avait disparu. Elle se sentait alerte, impatiente à l’idée des  journées à venir.

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