Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 décembre 2013 5 13 /12 /décembre /2013 13:21

 

 

Par cette chaleur torride, Léa avait coutume de nouer un foulard autour de ses cheveux afin de se protéger des rayons du soleil;  et mit sa main en visière pour s’abriter de la clarté du ciel.                        Elle distingua à des lieux, le clocher de l’église entouré de toits, aux tuiles délavées. Les deux femmes durent  marcher un bon quart d’heure avant d’atteindre leur destination. Durant leur parcours, elles continuèrent d’évoquer les meilleurs moments des lointaines années, dont certaines étaient familières à toutes les deux. L’air vibrait du vol des insectes et le soleil calcinait le sol. Il régnait une bonne odeur de terre. Arrivées au domaine, le portail était ouvert, le parfum du passé  sauta aux narines de Léa. On peut oublier des paroles, des images, des personnages, pensa-t-elle, mais on n’oublie pas les senteurs : ils sont comme la chair du souvenir. Emue, elle fut incapable de proférer une parole. Elles purent entrevoir l’intérieur de la propriété où des roses au doux parfum régnaient parmi les fleurs. Le lieu paraissait vide, calme, tout le monde devait être dans les champs.                       Tout paraissait mort subitement, cette solitude fut terrible.                   A ces moments là, la pensée de ses parents s’imposait à son esprit. Léa reconnut,  sous l’ombrage des robustes eucalyptus qui assuraient un verdoiement perpétuel, la grande table autour de laquelle toute sa famille aimait se retrouver. Et qui, aux périodes de vacances, n’avait jamais assez de rallonges, elle ne manquait pas de compagnie. Il est derrière nous ce temps là ! Pensa-t-elle.                                         Les repas dans ces lieux étaient toujours succulents et  duraient des heures malgré le ballet de mouches qui tournait autour d’eux.         Léa avait pour ses parents une vive tendresse. La vie jadis apparaissait rose à chaque fenêtre sous les beaux traits d’enfants nichés dans la maison. A cette époque, l’animation intense l’emportait en beaux rires sonores, elle, si débordante de joie autrefois, se mourait à présent d’angoisse, de tristesse, que le destin a voulu lui offrir. Elle s’imaginait voir, son père, sa mère, sa sœur déjeunant, mais leurs  visages apparaissaient flous. Elle ne revit pas ses parents, si ce n’est dans ses rêves.  Elle voulait s’enivrer des sons de leurs voix et de la douceur de leurs regards.  Léa se souvenait du rire éclatant de ce père respectable, des cris querelleurs venant des champs remplis de travailleurs. Puis subitement, toute évocation devint  confuse, sons et images se mêlèrent comme les couleurs des pinceaux trempés dans un bocal. La demeure à étage unique, élevée sur un rez-de-chaussée, transformée au fil des années,  était  moitié bourgeoise, moitié villageoise. Les plus agréables souvenirs de son enfance et de son adolescence avaient pris place dans la vaste cuisine. L’atmosphère embaumait de condiments, thym, romarin, sauge, ail oignons, se mêlaient l’odeur d’épices.                                 Le matin, un fort arôme de café tout frais, imprégnait la salle. Des odeurs appétissantes se répandaient dans la maison au fur et à mesure de la préparation du dîner. Léa se sentait enveloppée par la douce tiédeur de l’endroit. Elle l’avait toujours vue peuplé, en plus de la famille et des domestiques, de nombreux visiteurs s’y arrêtaient : Les gens s’agitaient dans la cuisine comme des abeilles dans une ruche : -Le facteur qui s’attardait devant un verre de vin, il était du genre chanteur, gai comme un pinson. On l’entendait venir de loin et l’on disait en faisant allusion à un grand chanteur de l’époque : Tiens voilà le grand Caruso qui s’amène, il ne va pas tarder à pleuvoir.   Très serviable, il lisait les lettres de ce qui n’avaient pas appris à démêler l’écriture. Pour lui, il n’avait pas de plus grand bonheur,  que d’être assis devant une boisson fraîche, entre ses braves amis, se mêlant à la conversation que par un gros rire et un hochement de tête. Parfois il s’amusait à éblouir en leur racontant des histoires drôles. Louise l’interrompait sans cesse, lui signalant qu’il racontait des énormités et le pauvre employé des postes n’arrivait jamais à la fin de son histoire. C’est de sa bouche qu’ils apprirent les évènements qui secouaient le pays.                                                      -Des ouvriers aimaient aussi causer entre deux services des petits évènements du jour concernant le travail                                                 -De petits bergers braconniers  proposaient le produit de leur chasse, ou la vente de quelques fromages de brebis.                          -Le camelot venait jusqu’au domaine en carriole tiré par un mulet, et déballait dans la cuisine, des serviettes éponges et tout un assortiment de trousseaux pour jeune fille. A la ferme, la plupart des nouvelles parvenaient par les gens de grands chemins, souvent collecteurs de ragots. Pour les paysans analphabètes c’était cocagne ; ils s’abreuvaient ainsi d’informations plus ou moins fantaisistes qui leur donnaient le sentiment de n’être pas tout à fait oubliés. Les histoires effrayantes qui couraient le pays, faisaient frémir les paysannes durant les veillées. Ces allées et venues dans la cuisine faisait l’effet d’un hall de gare livré aux quatre vents.          Tous ces passages de sa vie ramenait Louise vers un passé dont l’évocation n’était pas sans mélancolie, ces souvenirs avaient laissé une trace impérissable dans son esprit et, tout au long de son existence, chaque fois qu’elle avait eu l’occasion de se sentir à nouveau protégée comme un enfant, elle reconstituait dans sa mémoire les détails exacts de cette pièce, symbole de l’amour maternel, qui l’attendait avec sa collation préparée au retour de l’école et un doux sourire de bienvenue. La colonisation française fut une croix douloureuse à porter pour ce peuple « Pieds noirs. » Léa en a beaucoup souffert en perdant ses repères.    (à suivre)

Partager cet article
Repost0

commentaires