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9 décembre 2013 1 09 /12 /décembre /2013 07:29

Les gens, dans la journée, allaient, venaient,  s’affairaient, se ruaient sur les trottoirs et sur le macadam fondant des rues. 

La commune résonnait de cris et de rires d’enfants. Léa se perdit aussitôt dans cette foule anonyme qui causait en arabe, cependant, le français n’était pas absent de leurs propos.

 La nouvelle de sa venue s’était répandue comme une traînée de poudre. Léa restait le centre d’intérêt pour les habitants. Quel effet produisait-elle sur tous ces visages qui l’admiraient comme une merveille !                    

Après cet accueil chaleureux, elle ne manifesta  aucune crainte,  elle se  sentie en confiance, ses doutes s’étaient dissipés. Les gens se mirent à la contempler d’un regard respectueux, mais non dépourvu de curiosité. Les plus hardis lui prenaient la main qu’ils serraient fortement, et secouaient avec énergie, désireux de prolonger le plus possible cet honorable contact en la tutoyant avec une familiarité protectrice.

Sa venue n’interpelait pas la jeune génération, contrairement aux anciens qui essayaient  de se remémorer des souvenirs d’antan. 

Léa avait eu beaucoup de difficultés à reconnaître certains lieux, bien du mal à réaliser qu’elle était de retour dans ce village bouillonnant de vie, après l’avoir quitté quelques années plus tôt en fugitive.              Elle se sentit submergée par une bouffée d’émotion puis, redressa les épaules pour respirer l’air du matin, délicieusement frais.

Tout paraissait plus petit, mais tout lui semblait familier, au fur et à mesure  la vie affluait, le vacarme grandissait, la population  était très dense au vue de la démographie galopante.                            

 

C’était un charmant village, les gens qui s’y arrêtaient,  en parlaient avec emphase à ceux qui ne le connaissaient point, et c’est, avec regret qu’ils le quittaient en lui disant non pas « Adieu » mais « Au revoir. »

 Léa savait par ses parents, que cette région était jadis marécageuse, porteuse de paludisme, de choléra, malaria, dysenterie. Tous  se sont tous épuisés dans un effort démesuré et dans cette soif de réussir. Ils ont connu des heures tragiques par de nombreuses embuscades et par les périls du climat. La tâche à accomplir était immense.

 Dès leur arrivée, le pays commençait à s’emparer des nouveaux venus déjà affaiblis par l’influence d’un climat qui détruisait tout, le moral,  le corps, la force musculaire et l’énergie de l’âme.

 

C’est après plus d’un siècle de durs labeurs, que cette terre était  devenue,  source de vie. Au début de la période de la colonisation, et qu’il serait plus exact de nommer « période d’expansion ; »  quelques religieuses, soignaient, réconfortaient, visitaient sans relâche les malades atteints de fièvres, de plaies infectées, parfois de gangrène. Ceux atteints de choléra, de dysenterie se vidaient, se déshydrataient.

Quant aux rares médecins, d’un pas pressé après les soins, firent le tour de cet étal de douleurs, sans trop d’espoir de guérison.                Dans cet amas de misère humaine on avait du mal à reconnaitre les souffrants atteints du typhus, visage effrayant, tête sans cheveu, tombés par poignées. Chaque malade était à lui seul une station de calvaire. On placardait chaque semaine des listes de disparus  sur le porche de l’église.                                                                                 -Nous serons morts, mais notre histoire, celle de nos ancêtres venus de France, d’Espagne et d’ailleurs, continuera de se perpétuer, pensait-elle.                                   

-On se souviendra longtemps de ces pionniers d’Afrique du Nord  qui se sont sentis responsables, car en posant leur première pierre, ils contribuaient à bâtir le pays. Combien de douleurs eut-il fallu pour créer une telle merveille, et finalement l’abandonner au grand désespoir des familles françaises ayant connu l’exode et dont leurs biens furent confisqués.                                                                       Pour Léa, son enfance était parsemée de souvenirs, tantôt joyeux, tantôt tristes,  désormais le présent était pour elle, désireux de vérité. Elle refoulait les images qui lui venaient à l’esprit, lui montrant sa petite Louise victime de maltraitance. Le surlendemain, Léa sortit de l’hôtel, s’engagea sur la place, et vit à un détour Aïcha plantée  devant elle ; manifestement ce n’était pas fortuit, elle devait l’attendre, pensant qu’elle pouvait être utile en lui servant de guide. Léa l’ayant reconnue, la salua ; elle était heureuse de cette rencontre et la remercia chaleureusement ; en l’espace de quelques secondes, ses traits s’étaient détendus.

 Celle-ci  demanda la permission, de faire quelques pas à ses côtés ; de fil en aiguille elles finirent par  sympathiser.  

 Coquette, Aïcha laissait flotter derrière elle un sillage de parfum citronné qui n’était pas déplaisant. 

Elles parcoururent ensemble le village,  allant d’un pas inégal, au gré de leurs idées ; tantôt pressées, tantôt lentes, en observant les maisons anciennes qui prenaient mauvaise mine. Les bâtiments conservaient les traces d’une splendeur révolue. Certaines avaient été lourdement restaurées, presque  méconnaissables. Chaque fenêtre était protégée  par une  grille de fer forgé ; l’insécurité s’était installée aussi dans la commune.                                                      Le soleil était au  zénith, il faisait chaud, pas un souffle de vent, pas  le moindre  nuage dans ce ciel limpide et clair.

Elles continuèrent leur promenade en croisant des villageois flâneurs et nonchalants. Léa fut accueillie, avec des marques de sympathie,  tout El Malah semblait s’être donné rendez-vous. Si parmi la foule elle pensait reconnaître quelques visages, la majorité lui était inconnue.

 

 Les gens vaquaient dans un climat de paix. Pourtant derrière ses apparences d’enthousiasme, elle y avait en mémoire le tourment d’un pays en décadence, meurtrie par des vagues d’attentats. Cette vie leur était  devenue très vite insupportable, sans que l’on puisse en entrevoir la fin. Léa marchait au hasard des rues qui avaient perdu officiellement du moins, leurs noms de jadis.

Elle revenait dix fois sur ses pas et, découvrait à chaque regard un détail nouveau. Jadis se dit-elle, les filles du village défilaient vêtues de leurs plus beaux atours.

 

 Aïcha vivait dans un quartier populeux dissimulé par des palissades ; que tous les villageois appelaient  Grabba, ou  bidonville ; fait des maisons plus ou moins délabrées avec pour toit une tôle ondulée et des auvents qui descendaient très bas pour donner de l’ombre aux façades.  Certes, on y trouvait non pas les citoyens les plus huppés, mais elle était  fière de se montrer parmi les siens, et de payer un logement à la hauteur de ses moyens.  Que pouvait-on faire de mieux quand on n’a pas les moyens !

Aucune végétation ne poussait dans le secteur pour abriter les hommes sans travail qui laissaient passer les heures dans l’attente, peut être d’un futur meilleur.

Aïcha par l’effet de cet amour que les personnes simples éprouvent en vieillissant pour les lieux où s’est écoulée leur jeunesse, voulut rester fidèle au douar. Il était aussi atroce qu'absurde, de voir les uns se regorger de superflu, et les autres manquer de nécessaire.  

Derrière certains taudis, régnait une misère difficile à concevoir, tout n’était pas rose. Sa vie s’était déroulée là où elle vit le jour, elle ne connaissait que les agglomérations les plus proches, l’idée de partir loin l’angoissait.

Elle était incapable de se représenter l’immensité du monde, celui-ci s’arrêtant pour elle au village.

Les heures s’écoulaient rapidement, Léa  appréciait la compagnie de cette jeune femme, qui trouvait que les hommes étaient violents, avares, sans pitié, sans partage. Son époux jaloux comme un « tigre, »  l’avait rendue bien malheureuse, elle en avait cruellement souffert ; elle, pour qui sa conduite était au-dessus de toute critique.   Pourtant, son compagnon, avait été si tendre, si bon mari.

- Je vous assure dit-elle, que ma conduite ne prêtait pas à soupçon,  je n’étais pas provocante, mais respectueuse des traditions ; en fait j’étais plus jeune que lui et je passais pour presque jolie, cela suffisait. Il  m’empêchait de sortir seule, me défendait de recevoir des visites en son absence ; il me faisait des scènes publiques pour des futilités, il pouvait être cruel en me faisant remarquer le sillon de chaque nouvelle ride, du kilo en trop qui épaississait ma taille. Il lui arrivait  de me barricader dans la maison. Il voyait le mal partout, cela devenait une obsession. Il se rendait malheureux,  parfois ridicule, en se pourrissant la vie. Quand nous étions dans ma famille, je tremblais par avance des scènes qu’il me ferait une fois rentrée à la maison. Il a fallu me résoudre à renoncer de rendre visite à mes parents. Au début cela me semblait naturel, je pensais que c’était  liée à l’amour ; j’en étais très flattée, mais par la suite sa jalousie devint maladive. Il était pénible d’être considérée comme un objet très précieux, mon mari ne supportait ni partage, ni l’idée du partage. Il m’empêchait de sortir seule, « On a vu la jalousie détraquer des êtres les plus sains et les plus solides qui y laissent à la fois la santé et la raison. » Aïcha vivait une situation intenable avec un mari dépressif, toujours sur la défensive, s’acharnant sur elle ; aussi, elle commençait à en avoir par-dessus la tête de ces scènes sans fin.                                                                       

-Il en est mort prématurément dit-elle ; à ses mots quelques larmes trop longtemps contenues  perlèrent sur ses joues.

Son cœur était resté fidèle à son premier amour quoi que lui eût fait son mari, elle l’adorait toujours.

Depuis, elle n’avait jamais rencontré un homme avec qui elle aurait  eu envie de refaire sa vie ;cela aurait été mal considéré dans sa belle famille, assez stricte sur les principes, dit-elle. Aïcha murmura ses mots sans y prendre garde:                                                          -- Oui, parfois un être perd son bonheur.

Nous voulons être aimées, et quand on nous aime, on nous tourmente ou on nous ennuie.        

 

- Les amours commencent  bien souvent par des anneaux, et finissent  parfois auprès des tribunaux.                                            

 

  Elle parlait d’une voix tranquille, et paraissait  sincère.  De plus, elle prétendait qu’il fallait profiter du moment présent par crainte de l’avenir ; saisir le bonheur quand il passe, puisque  on a souvent dans la vie pour soutien et consolation que le souvenir d’une  enfance heureuse.                                         

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